22 juillet
comme poussés par le vif vent d’est, nous passâmes en moins d’un heure du vert scintillant de la mer au camaïeu de la campagne
et aux pleurs des goélands succédèrent le concert des oiseaux du bocage et, la nuit, les galopades des souris au-dessus de nos têtes, dans le grenier
peut-être les morts, me disais-je avant de m’endormir, inhumés dans la terre, entendent-ils marcher les vivants au-dessus d’eux, et parler même
et j’imaginai qu’à la satisfaction de les espionner complètement à leur insu se mêlait la frustration de n’en pouvoir rien dire ni faire
à l’aube, les coqs semblaient s’appeler et se répondre d’une ferme à l’autre, leur chant parfois couvert par le moteur d’un tracteur
j’essayais de me rendormir, en vain, l’envie d’uriner faisait obstacle au glissement vers le sommeil
et poursuivant alors ma réflexion du soir comme si la nuit n’avait été qu’une virgule dans l’enchaînement de mes pensées
je songeais que peut-être les morts par des canaux inconnus, les fluides cadavériques se frayant sous terre un chemin tortueux et secret
s’échangeaient des souvenirs, des savoirs, des espoirs et, qui sait, quelque chose qui serait l’équivalent, dans le monde des vivants, de baisers
Quatre pessimistes
10 juillet
1
on compte les points
on va sur la pointe des pensées le visage à demi masqué les ruines étendues aux lendemains |
peut-être reste-t-il un peu d’espoir à tremper dans la lumière tombée des feuillages d’été sur l’humus emperlé de rosée |
2
étales aventures liquides
on n’en voit rien l’inquiétude est un lac où sont fichés de l’attente immobiles de grands hérons |
imaginer le futur au moins le désirer mais il dépasse à peine des éboulements |
3
le regard se posait sur le monde et le monde
n’apparaissait plus
nombre grandissant de mots
s’effacèrent
on se convainquit que le sable
était respirable
hospitalier l’inhabitable
on égorgea
par les boyaux obscurs de l’amour
le reste des oiseaux
4
la lune est levée le soleil
passe le plan de la colère c’est
l’équinoxe de l’incertitude et
grondent les grandes marées
du malheur à rompre
les vieilles digues et noyer
leurs gardiens affolés
au poète restent dans l’inondation
quelques mots de paille pour
étendre au sec un peu de dire
Éloge des bords
13 juin
apprends des merles puisque
tout de tes pareils tu rebutes
à saluer le jour qui paraît
la nuit qui tombe et du ciel
que l’invisible est plus nombreux
que l’apparent le noir
que la lumière apprends
de l’arbre à retenir
ta hâte horizontale
la profondeur de l’éphémère
du moucheron et de l’enfant
ton dissemblable encore
qu’un rien peut être
ce que tu veux
Circulaire et linéaire
11 juin
Je n’eus bientôt plus de commerce qu’avec le platane d’Orient et le marronnier d’Inde qui touchent au ciel au bas du square Louise Michel et auxquels, chaque jour à leur tour, j’allais rendre visite.
C’est que l’âge m’avait rendu la marche douloureuse et pesante la fréquentation de mes pareils. Mes promenades quotidiennes ne me conduisaient donc, aux heures les plus désertes, qu’à deux ou trois pâtés de maison de chez moi où, heureusement, ils étaient là, l’un depuis 1840, l’autre depuis 1902.
Je m’installais au pied de l’arbre du jour, debout, une épaule appuyée contre le tronc, une main jouant avec les craquelures de l’écorce, les yeux levés. Parfois je lui chantais une chanson, un lied, mais le plus souvent j’errais en silence dans le grand cerveau de sa ramure, y cherchant les pensées tantôt nues, tantôt feuillues selon la saison, qui prenaient parfois l’aspect un peu moins insaisissable d’un oiseau, merle, corneille, moineau, pigeon… J’y errais jusqu’au vertige que la taille et la vie de ces arbres excédassent à ce point les miennes, et il arrivait quelquefois que, comme si je quittais mon corps pourtant toujours épaulant leur tronc, je fusse emporté loin d’eux dans le grand chiffon de l’univers, partout troué.
De retour au pied de mon arbre, je le quittais pour rentrer chez moi, sans me retourner, presque confiant que je reviendrais le lendemain. Et je me figurais que lui, comme s’il avait adopté la coutume japonaise de l’omiokuri qui consiste à accompagner du regard en agitant parfois aussi la main la personne qui s’en va jusqu’à ce qu’elle disparaisse de notre vue, j’imaginais que le marronnier ou le platane me suivait de son grand regard labyrinthique, moi, chétif et éphémère, me regardait tourner l’angle de la rue Saint-Pierre et, de ses presque trente mètres de hauteur, descendre un peu la rue Séveste ou la rue de Steinkerque.
Misanthropique, 64
1er juin
c’était encore un lundi de la fête des langues
et tu avais parce que toujours
tu t’es senti
au pied de l’arbre de la différence
où chantent des oiseaux dont tu ne connais pas le nom
seul
fait justement ce lundi-là
vœu de silence
et pour te renforcer dans ta résolution
tu avais marché jusqu’au canal de l’Ourq
t’inspirer de son indifférence
aux grimaces de douleur
des joggers
et aux promeneurs qui te demandaient l’heure
tu répondais d’un sourire gracieux
seulement
que les humains feraient mieux
comme Dieu
de manifester leur présence
par l’absence
ce fut ainsi que tu fêtas
sans un mot dire
les langues en ce lundi