Mois : juillet 2020
25 juillet
ce matin-là le vent vira d’est en ouest, abaissant le ciel, poussant de lourds nuages de pluie mais d’abord, et jusqu’aux chambres où l’air humide et frais qui entrait par les châssis disjoints des fenêtres nous rencognait au fond de nos lits, le chant d’autres coqs que ceux des fermes de Rocheville, plus lointains, parfois déchiquetés en chemin par les haies ou les bosquets
et puis, alors que j’avais résolu d’enfin me lever, la cloche de l’église de Rauville-la-Bigot dont je reconnus le timbre, c’était le plus sourd du pays et le vent en portait bien les graves : je comptai les coups, pensant qu’elle sonnait l’heure, six heures sans doute, peut-être sept car je m’étais rendormi, mais à neuf, après avoir brièvement pensé que je m’étais mécompté, je pris conscience que c’était le glas ;
la cloche de Rauville sonnait le glas, ou étaient-ce les caprices du vent d’ouest qui en altérait le battement en le ralentissant ou en en emportant un coup sur deux, non, me dis-je, c’est bien le glas, je n’en avais un instant douté que parce que la pensée de la mort était trop matinale pour que je ne tente pas de la repousser, de la remettre à plus tard dans la journée, un peu plus tard, lorsque au moins j’aurais quitté la position horizontale ;
le clocher de Rauville annonçait donc aux alentours, et le vent d’ouest en portait la nouvelle jusqu’à moi, nouvelle que le vent d’est qui soufflait encore la veille au soir m’eût épargnée, qu’un être humain entrait en agonie ou venait de mourir — il était en effet bien trop tôt pour que l’église sonnât une cérémonie funéraire — et, à la manière d’une vanité, me convoquait au pied du mur insurmontable de ma propre fin,
mais cette injonction inattendue que peut-être un autre jour j’aurais prise comme une invitation à un ars moriendi qui n’aurait soulevé en mon esprit aucune objection fondamentale me fut ce matin-là, tandis que la pluie commençait à crépiter aux fenêtres, pénible comme l’obligation de prononcer un discours louangeur aux funérailles d’un être qu’on a méprisé, ou d’accueillir avec le masque mal ajusté et oppressant de la bonhommie un rival haï
aussi, remettant mon lever, me couvris-je la tête de mon oreiller pour m’assourdir, faire barrage à ce qui du jour grisâtre passait mes paupières closes, et m’évadai-je dans des rêveries érotiques, mélange de souvenirs et d’inventions, d’êtres connus et chimériques, de gestes coutumiers et bizarres, la main bientôt descendue au bas de mon ventre, jusqu’à l’oubli
Horizontales
22 juillet
comme poussés par le vif vent d’est, nous passâmes en moins d’un heure du vert scintillant de la mer au camaïeu de la campagne
et aux pleurs des goélands succédèrent le concert des oiseaux du bocage et, la nuit, les galopades des souris au-dessus de nos têtes, dans le grenier
peut-être les morts, me disais-je avant de m’endormir, inhumés dans la terre, entendent-ils marcher les vivants au-dessus d’eux, et parler même
et j’imaginai qu’à la satisfaction de les espionner complètement à leur insu se mêlait la frustration de n’en pouvoir rien dire ni faire
à l’aube, les coqs semblaient s’appeler et se répondre d’une ferme à l’autre, leur chant parfois couvert par le moteur d’un tracteur
j’essayais de me rendormir, en vain, l’envie d’uriner faisait obstacle au glissement vers le sommeil
et poursuivant alors ma réflexion du soir comme si la nuit n’avait été qu’une virgule dans l’enchaînement de mes pensées
je songeais que peut-être les morts par des canaux inconnus, les fluides cadavériques se frayant sous terre un chemin tortueux et secret
s’échangeaient des souvenirs, des savoirs, des espoirs et, qui sait, quelque chose qui serait l’équivalent, dans le monde des vivants, de baisers
Quatre pessimistes
10 juillet
1
on compte les points
on va sur la pointe des pensées le visage à demi masqué les ruines étendues aux lendemains |
peut-être reste-t-il un peu d’espoir à tremper dans la lumière tombée des feuillages d’été sur l’humus emperlé de rosée |
2
étales aventures liquides
on n’en voit rien l’inquiétude est un lac où sont fichés de l’attente immobiles de grands hérons |
imaginer le futur au moins le désirer mais il dépasse à peine des éboulements |
3
le regard se posait sur le monde et le monde
n’apparaissait plus
nombre grandissant de mots
s’effacèrent
on se convainquit que le sable
était respirable
hospitalier l’inhabitable
on égorgea
par les boyaux obscurs de l’amour
le reste des oiseaux
4
la lune est levée le soleil
passe le plan de la colère c’est
l’équinoxe de l’incertitude et
grondent les grandes marées
du malheur à rompre
les vieilles digues et noyer
leurs gardiens affolés
au poète restent dans l’inondation
quelques mots de paille pour
étendre au sec un peu de dire