31 décembre

je m’éveillai comme s’anime soudain la mère de l’enfant borgne lorsqu’elle lui voit briller les deux yeux les deux même l’autre qu’elle pensait mort comme on est mort c’est-à-dire à jamais

je m’éveillai émerveillé et incrédule comme les mots des Évangiles assemblés sur la page autour de l’un d’entre eux miracle et de ses sept lettres qu’ils regardent admiratifs de loin envieux de près

échappé de mes brisements soustrait à mon obscurité je m’éveillai auprès de mon squelette et de mes chairs comme on reprend conscience dans une chambre inconnue blanche et chromée

je m’éveillai sans cœur moi qui n’en avais jamais eu je m’éveillai sans moins de cœur encore ébloui de lumière pas celle du soleil non celle qui délie les ombres et qu’on appelle pour cela scialytique

 

 

à mes organes

je ne sais

qui reconnaissant

22 décembre

Alors que l’automne finissait, il nous arriva d’héberger, à notre complète surprise et sans notre consentement, une souris. Elle parut pour la première fois à l’heure du thé, dans l’entrée qu’elle traversa pour disparaître derrière le meuble suisse. Nous fîmes quelques hypothèses d’abord optimistes sur sa venue — elle était passée sous la porte et explorait l’appartement dont elle se rendrait vite compte qu’il était, contrairement aux caves ou aux greniers que nous pensions qu’elle fréquentait habituellement, lumineux et animé — puis plus inquiètes : en effet, nos caves vibraient depuis quelques semaines des travaux d’installation d’un ascenseur, et ce n’est qu’à partir du troisième étage, le nôtre, que les machines des ouvriers ne résonnaient plus. Par ailleurs, elle trouverait chez nous bombance de miettes de toutes sortes semées de ses tartines ou de ses biscuits par notre fille. Le lendemain de sa première apparition, tandis que nous dînions avec des amis, nous la vîmes monter du parquet sur le plan de travail de la cuisine par le rideau qui masquait le lave-vaisselle et, là-haut, se promener parmi les victuailles, pommes de terre, potimarron, oignons, pain, avec un air de propriétaire que ne rien ne pressait à manger. Elle était d’ailleurs replète, peut-être même, ajouta l’une d’entre nous, était-ce une femelle et portait-elle des petits. Elle s’enfuit lorsque quelqu’un se leva pour retirer le saucisson dont elle s’approchait, et sauta d’un bond sur le parquet, un mètre plus bas, puis disparut derrière les meubles. La conversation de la fin de repas fut consacrée à comment s’en débarrasser. En cette époque d’extinction massive des espèces et de menaces sur la biodiversité, un consensus s’établit vite de la laisser en vie. Il fallait trouver un piège qui la préservât, tout le monde en convenait, on en dénicha différents modèles sur Internet, mais quand il fut question de savoir où la relâcher, aucun accord ne fut possible. Les travaux à la cave étaient toujours en cours, elle remonterait. Le terre-plein végétalisé du boulevard l’emprisonnait entre deux chaussées où elle ne manquerait pas de finir écrasée. Des combles, il était probable qu’elle descendît chez un voisin qui, peut-être, n’aurait pas de scrupule à employer une tapette — considéré collectivement par les dîneurs, le terme choqua par ce qu’il prétendait édulcorer d’un diminutif mignard un mécanisme brutal qui tuait en cassant le cou. Wikipédia apprit que l’appellation datait d’une centaine d’années, on la jugea prémonitoire de certains euphémismes contemporains. Nul n’osa avancer que c’est là, ici, chez nous, probablement derrière le lave-vaisselle, dans une tiédeur, une poussière et une obscurité confortables qu’elle se trouvait le mieux puisqu’elle y avait précisément élu domicile. Sentant l’embarras général, quelqu’un tenta de détourner un peu la conversation en faisant observer que ces petits animaux qu’on trouvait à foison dans les comptines, les illustrations des livres d’enfants et les dessins animés où ils vivaient en famille dans des cavités meublées de lits douillets, de commodes et de fauteuils à bascule où ils se prélassaient, leur oreilles rondes déployées, leur bonnet sur la tête, leur sourire avenant dont tombaient deux longues et rectangulaires incisives, ces bestioles charmantes et délicates, lorsque l’une d’elle déboulait soudain dans la réalité, avec son pelage d’un brun terne et sa longue queue froide, elle bouleversait la vie, peut-être pas autant qu’une rencontre amoureuse, la naissance d’un enfant ou l’annonce d’une maladie dégénérative, mais quand même, il y avait là comme un surgissement d’une force primitive dont la puissance était inversement proportionnelle à la taille, et qui colonisait, outre l’armoire à épicerie ou la cuisine, la pensée. Ce propos fut jugé en maints points excessif, voire choquant dans certains de ses parallèles et provoqua de vifs débats. Heureusement, quelqu’un qui était allé consulter aux toilettes l’article souris sur Wikipédia rapporta que les Tumbuka d’Afrique australe consommaient quatorze sortes de souris après les avoir vidées, bouillies, salées puis séchées. Cette nourriture, jadis réservée aux invités, aux ancêtres ou aux fêtes familiales fut progressivement ravalée au rang de plat méprisé sous l’influence des colons européens. Tout le monde s’accorda, cette fois, à condamner la colonisation. On ne reparla pas de la souris qui, au moment de leur départ, inspira à nos commensaux quelques vœux de courage, de persévérance ou d’ingéniosité, et des souhaits que nous les tenions informés de la suite. Quelqu’un proposa de créer un groupe WhatsApp, intitulé par exemple Bonne chance Mickey, mais l’idée ne fut pas retenue.

Le lendemain, à l’ouverture de Leroy-Merlin, j’achetai deux nasses à souris. Le terme de nasse et le néologisme nasser forgé à partir de lui avaient fait retour dans le vocabulaire courant depuis trois ans pour désigner une tactique policière de répression des manifestants qui consistait à les enfermer dans un cordon de CRS pour les isoler, les arrêter, éventuellement les gazer. La nasse à souris se composait d’un plancher en bois sur lequel était fixée une cage grillagée d’une douzaine de centimètres de long, cinq de large et autant de haut, dont la trappe ouverte se rabattait vivement sous l’effet d’un ressort relâché lorsque l’animal touchait à l’appât.

Le soir venu, je plaçai les deux nasses garnies de saucisson espagnol aux herbes, l’une au pied des bouteilles d’huile où nous avions trouvé de nombreuses crottes, l’autre sur le chemin que, par deux fois, l’animal avait emprunté pour s’enfuir. A peine une heure plus tard, alors que nous lisions à notre fille, avec un jour d’avance sur le calendrier des saisons, Le Livre de l’hiver, de Rotraut Susanne Berner, en remplacement un peu hâtif mais salutaire du Livre de l’automne dont nous connaissions et avions commenté quatre-vingt-onze fois tous les détails, nous entendîmes claquer la trappe de la nasse. On me laissa seul relever le piège. La souris s’y agitait sur le plancher taché de sang — l’animal cependant ne portait aucune blessure visible ­— tournait en rond, passait le museau pointu par les trous du grillage, ses yeux noirs, sans pupille ni blanc, deux billes aussi minuscules que denses d’effroi. Je lui dis que j’allais la remettre en liberté, enfin une forme de liberté qui n’était pas celle, sans doute, dont je venais de la priver et qui peut-être ne lui conviendrait pas du tout, et même précipiterait sa fin. Je glissai la nasse dans un sac en papier blanc, l’emportai dans la nuit et sous la pluie jusqu’au square d’Anvers, m’accroupis devant la grille et dis quelques mots d’encouragement à l’animal que j’appelai involontairement Minette avant d’ouvrir la trappe. Elle fila dans un fourré. Je rentrai, accablé par l’immensité obscure et humide de la solitude et de la fragilité auxquelles, plus qu’à la liberté, je l’avais rendue.

11 décembre

 

 

 

 

 

 

            se cacher s’offrir

            élégie paradoxale

            et brutale

ma poésie pauvre putain

tu te dans l’ombre

infecte et magnifique

rencognes de la lit

térature et le

sale en attendant

le désir somptueux

du lecteur inconnu

se passant de la langue

l’interlope entre les dents

la catastrophe tu

la chantes est

avenir