14 décembre

je poussai les persiennes, il faisait jour, j’avais dormi plus longuement, beaucoup rêvé, d’une gare en ruines où un homme abattait d’une balle une chèvre rendue folle par la captivité, d’un cours où je démontrais à des adolescents, images à l’appui, que l’éléphant avait pour lointain ancêtre un singe informe, et d’autre chose, me semblait-il, encore avec des animaux

l’air vif me prit le visage et les mains, le ciel était haut, bleu pâle, il ferait beau, au paysage clos des deux cours endormies et de l’érable effeuillé se substitua avec la soudaineté d’une hallucination celui d’une mer gris pâle qui se mêlait dans le lointain à un ciel laiteux dans un sfumato que rompaient deux ou trois silhouettes noires de cargos

et cela suffit pour qu’à nouveau je fusse pris, violemment et douloureusement comme à un hameçon, au désir d’être ailleurs, un autre, que des persiennes de ma vie repoussées, ouvertes, mon âme s’échappât, mon corps, mon histoire, et que s’écrivît à neuf dans une autre langue l’énigme de mon passage sur terre

9 décembre

le matin du troisième jour on tenta de suspendre le processus de décomposition du corps politique en vain, l’atmosphère fétide était si lourde qu’aucun courant d’air frais ne parvenait à l’assainir, chacun entreprit alors de cultiver quelques jacinthes qu’il tenait sous son nez pour échapper à la pire puanteur qu’on eût connue depuis longtemps, la démocratie pourrissait, on s’habitua, dans les platanes que l’automne avait effeuillés les corneilles faisaient comme des trous noirs aux bords pointus