31 janvier

j’étais assis au pied de l’immeuble sur le banc, j’avais perdu mes clés, j’attendais, elle s’arrêta devant les poubelles qui débordaient sur le trottoir et cria ah ! ils sont pas passés ! mais les vraies ordures sont pas là-dedans, c’est les saloperies de ce quartier qui prostituent les gosses ! les passants s’écartaient, elle demeurait là, un cabas pendu au bras gauche, lançant le droit en avant, en l’air, envoyant promener je ne sais quoi, tout, criant les salauds, les dégueulasses, vous vous rendez compte, des gosses, ils ont plus qu’à crever après ça, c’est peut-être crever qui m’a fait revenir que le soir, la veille, j’avais désiré un tombeau, pas un lieu où je fusse mort, je n’étais pas plus pressé que ça de mourir, mais c’était tout de même tombeau le mot qui m’était venu pour un lieu où plus personne ne viendrait me proposer quelque commerce que ce soit, m’interpeller, m’inviter, me séduire, m’insulter, me questionner, me toucher, me regarder même, pas plus qu’on n’interpelle, n’invite, ne séduit, n’insulte ne questionne ne touche ou ne regarde les morts qu’une épaisse couche de terre, ou de pierre ou de ce qu’on voudra protège de toute façon des velléités que pourraient avoir les vivants de les interpeller, inviter, séduire, insulter, questionner, toucher, regarder, pas un tombeau véritable mais un lieu où, loin de mes pareils que par une concession lâche à leur susceptibilité j’appelle ainsi alors qu’ils sont plutôt, je le sais, mes dissemblables, et elle, peut-être, la folle qui parlait tout haut de son enfance, ma sœur, un lieu où je pourrais vivre du peu qui m’est essentiel, dans un corps à corps avec la phrase, la phrase que je cherche obstinément depuis si longtemps que s’y égarent mes efforts de datation, la phrase dont l’origine, l’ombilic n’a pas de majuscule et qui, à elle, l’imprécatrice, ne semblait pas si difficile, elle qui a poursuivi son chemin, ou fait demi-tour, je ne sais pas, je ne l’avais pas vue arriver

18 janvier

à Malou

 

te fîmes naître au temps des glaces défaites

des grands feux

des gouvernants sans gouvernail

des mers de larmes de plastiques de noyés

où la dent vorace de l’homme mordait

même au ciel

naître au craquement des peuples

dans le silence aux deux bouts

de l’espérance

déposâmes ta vie joyeux et pleins

de souffles suspendus

sur le versant que craignions

parmi les humains augmentés

d’inhumanité

les bougies des bêtes éteintes

et les arbres pliant

écorce et branchages

te fîmes naître entre sauve

qui peut repliement

résistance allant

dans la paille odorante et dorée de l’allégresse

inquiète de l’amour

14 janvier

salut Paris

les platanes de la République effeuillée

les foules des colères souterraines

les impatients dans leur exosquelette de plastique et de verre Securit

les trottinettes montées par d’indomptables individualistes

salut les feux au rouge les sens interdits

salut Paris

la suspension de l’incrédulité devant les policiers armés comme une armée

salut la vallée de l’étrange

la Seine des poètes engloutis

le pouvoir au bout du  bout de la laisse de ses chiens

les yeux avides les bras longs

salut la cancéreuse et l’incertaine à séparer le faux du vrai

salut Paris

un soir d’avril ce qui fléchait ton ciel a pris feu

mais les ponts relient toujours les rives de mémoire et d’oubli

et sur le parvis blond de l’opéra dansent les ballerines en grève

et de Bastille à la Nation la mer

est poissonneuses d’espérances

politiques amoureuses