25 juillet

ce matin-là le vent vira d’est en ouest, abaissant le ciel, poussant de lourds nuages de pluie mais d’abord, et jusqu’aux chambres où l’air humide et frais qui entrait par les châssis disjoints des fenêtres nous rencognait au fond de nos lits, le chant d’autres coqs que ceux des fermes de Rocheville, plus lointains, parfois déchiquetés en chemin par les haies ou les bosquets

et puis, alors que j’avais résolu d’enfin me lever, la cloche de l’église de Rauville-la-Bigot dont je reconnus le timbre, c’était le plus sourd du pays et le vent en portait bien les graves : je comptai les coups, pensant qu’elle sonnait l’heure, six heures sans doute, peut-être sept car je m’étais rendormi, mais à neuf, après avoir brièvement pensé que je m’étais mécompté, je pris conscience que c’était le glas ;

la cloche de Rauville sonnait le glas, ou étaient-ce les caprices du vent d’ouest qui en altérait le battement en le ralentissant ou en en emportant un coup sur deux, non, me dis-je, c’est bien le glas, je n’en avais un instant douté que parce que la pensée de la mort était trop matinale pour que je ne tente pas de la repousser, de la remettre à plus tard dans la journée, un peu plus tard, lorsque au moins j’aurais quitté la position horizontale ;

le clocher de Rauville annonçait donc aux alentours, et le vent d’ouest en portait la nouvelle jusqu’à moi, nouvelle que le vent d’est qui soufflait encore la veille au soir m’eût épargnée, qu’un être humain entrait en agonie ou venait de mourir — il était en effet bien trop tôt pour que l’église sonnât une cérémonie funéraire — et, à la manière d’une vanité, me convoquait au pied du mur insurmontable de ma propre fin,

mais cette injonction inattendue que peut-être un autre jour j’aurais prise comme une invitation à un ars moriendi qui n’aurait soulevé en mon esprit aucune objection fondamentale me fut ce matin-là, tandis que la pluie commençait à crépiter aux fenêtres, pénible comme l’obligation de prononcer un discours louangeur aux funérailles d’un être qu’on a méprisé, ou d’accueillir avec le masque mal ajusté et oppressant de la bonhommie un rival haï

aussi, remettant mon lever, me couvris-je la tête de mon oreiller pour m’assourdir, faire barrage à ce qui du jour grisâtre passait mes paupières closes, et m’évadai-je dans des rêveries érotiques, mélange de souvenirs et d’inventions, d’êtres connus et chimériques, de gestes coutumiers et bizarres, la main bientôt descendue au bas de mon ventre, jusqu’à l’oubli

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*